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Culver promena son regard dans l’infirmerie, espérant trouver l’un des autres « malades » éveillé, et impatient de parler. Il en avait assez de cette réclusion qui l’ennuyait. Tous les autres dormaient, comme il s’en doutait, car on leur avait administré de puissants sédatifs. Trois ingénieurs et un responsable du Royal Observer Corps avaient déjà craqué. L’un des ingénieurs, qui devait avoir près de la trentaine, s’était ouvert les poignets avec une lame de rasoir. Seul le sang qui avait coulé sous la porte des toilettes l’avait sauvé. La femme, portant un uniforme du Royal Observer Corps, que Culver avait rencontrée le jour de son arrivée dans l’abri, avait essayé d’avaler des pilules dérobées dans la pharmacie. Le bruit de ses vomissements, quand on lui avait enfoncé un tube en caoutchouc dans la gorge, l’avait tiré de son profond sommeil, la nuit précédente.

Il se laissa tomber sur l’oreiller, un bras derrière la tête. Selon les médecins, il était resté cinq jours inconscient, d’abord à cause de l’irradiation, ensuite des morsures de rats qui s’étaient attaqués à lui comme des brutes avides refusant d’être exclues de la fête. En vérité, il avait eu de la chance. La dose de radiations était minime bien qu’affaiblissante et le docteur Reynolds avait trouvé un produit pour arrêter l’infection. Elle avait donné les explications nécessaires sur les maladies transmises par la vermine et, par précaution, avait vacciné tous ceux qui se trouvaient dans l’abri. Tout le monde, d’après elle, était en sécurité à l’intérieur, mais il leur faudrait bien, un jour, remonter à la surface, et il valait mieux être préparé à tout danger susceptible de survenir là-haut. Les rats, se disait Culver, seraient le cadet de leurs soucis.

Il souleva le drap pour examiner la morsure. La blessure n’était plus pansée et avait un aspect pourpre. Elle était légèrement douloureuse. Il allait vivre.

Laissant le drap retomber sur son corps nu, il fixa le lit supérieur. Comme après toute maladie débilitante, tout semblait empreint de fraicheur, même les couleurs criardes des murs de l’infirmerie. Les néons avaient plus d’éclat, plus de netteté, les montants en fer du lit se détachaient clairement. Même l’air conditionné semblait plus frais. Il se rappelait à peine les souffrances endurées excepté les crampes d’estomac  –, mais le docteur Reynolds lui avait dit qu’à un moment donné, il était devenu jaune comme un Chinois. La fièvre avait engendré des spasmes musculaires, des vomissements constants et du délire, le tout intensifié par les radiations absorbées par le corps. Heureusement, l’antidote avait rapidement fait effet et toutes les toxines avaient disparu avec la transpiration les premiers jours. Par la suite, une fatigue générale l’avait réduit à néant et le repos total avait été l’unique remède.

Culver se sentait assez bien. Peut-être un peu faible, mais il était certain que sa force lui reviendrait dès qu’il serait debout. Si seulement il savait où étaient ses affaires.

Il repoussa les draps et mit les pieds par terre, puis se remit vite dans le lit et se couvrit jusqu’à la taille en voyant la porte s’ouvrir. La jeune fille entra et sourit en le voyant à moitié assis sur le lit.

— Vous avez bonne mine, lui dit-elle en s’approchant.

— Oui, je me sens, euh... bien.

Elle s’assit à l’extrémité du lit, en se penchant légèrement pour ne pas se cogner la tête contre le lit supérieur.

— Nous avons eu quelques inquiétudes. Je ne savais pas que le corps humain pouvait évacuer tant de déchets en un temps si court.

— Ouais, mais je préfère ne plus y penser. C’est vous qui vous êtes occupée de moi ? fit-il, l’air surpris.

— Oui, avec le docteur Reynolds, à tour de rôle. Vous ne vous souvenez de rien ? Pourtant elle est restée tout le temps auprès de vous quand la fièvre était à son paroxysme.

— Des images surgissent dans mon esprit, dit-il en se frottant la barbe. (Puis il ajouta, après avoir gardé le silence quelques instants :) Vous me regardiez. Je me rappelle votre visage penché sur moi. Vous pleuriez.

— Je ne savais pas la gravité du mal, fit-elle en évitant son regard, je ne savais pas non plus si vous alliez survivre. Vous aviez l’air si mal en point.

— Vous étiez inquiète ? lui demanda-t-il, surpris une seconde fois.

Kate s’approcha et lui passa les doigts dans ses cheveux en broussaille d’un blond roux, comme pour le coiffer.

— Vous avez les yeux brillants.

— Je suppose que ce sont toutes les vitamines que notre médecin me fait avaler.

— Elle dit que paradoxalement vous avez eu plus de chance que nous autres.

— Ça, c’est la meilleure, dit-il en éclatant de rire. Et pour quelles raisons ?

— Vous avez été en dehors de tout. Ces derniers jours, vous n’avez eu qu’une seule préoccupation : l’instinct de conservation. Même au plus profond de votre délire, cet instinct luttait, refusant de se laisser aller. Et Clare  – le docteur Reynolds  – dit que votre esprit a fait autre chose.

Culver lui saisit gentiment le poignet pour l’empêcher de lui caresser les cheveux.

— Quoi ?

— L’esprit est une remarquable machine, il peut faire plusieurs choses à la fois. Tout en vous aidant à reprendre le dessus, il faisait une mise au point.

— Une mise au point ?

— Par rapport à tous les événements passés. Oh, vous avez eu votre part de cauchemars, de rêves aussi à en croire les sons que vous émettiez, mais pendant ce temps, votre esprit recréait tout le passé, et... le digérait, si vous voulez. Nous avons dû passer par là, nous aussi, mais consciemment. Nous avons dû vivre et revivre certains épisodes de notre vie, et, comme vous le voyez, certains ne l’ont pas supporté : Il y en a d’autres encore qui n’en seront pas capables.

Il lui lâcha le poignet et elle posa sa main sur sa poitrine.

— Le serez-vous ? lui demanda-t-elle.

— Je n’en suis pas sûr. Au début, j’ai pensé que ce serait impossible. Maintenant je ne sais plus. C’est incroyable ce que l’on peut endurer. Je ne veux pas dire que nous finirons par accepter cette guerre nucléaire, mais je crois que les circonstances nous y forceront. Nous devrons vivre avec ce que nous avons.

Culver fut surpris de son changement soudain. Elle aussi avait été en état de choc profond, les premières heures de leur arrivée dans le refuge. Il n’avait pas eu la chance de voir ce qui s’était produit ensuite. Il lui effleura la joue du dos de la main.

— Je crois que ce n’est pas la première fois que nous passons de tels instants. Ou quelque chose de similaire.

— Oui, quand nous sommes arrivés, fit-elle en essayant de sourire. Cela m’a aidée.

— Moi aussi. On essaie encore ?

Elle cligna des yeux, sans doute pour en chasser le voile humide.

— On nous demande tous deux ailleurs, lui dit-elle.

Il fronça les sourcils.

— Alex Dealey veut vous voir à la salle d’état-major.

— Alors il a déjà établi un poste de commande.

— Cet endroit est plus surprenant que vous ne le pensez. Même les techniciens qui travaillent ici au jour le jour n’avaient aucune idée de ce que contenait exactement cet abri. Apparemment presque tout le complexe était interdit d’accès, même à eux.

— Ouais, c’est compréhensible. Les autorités ne tenaient pas à divulguer l’existence de tels bunkers. Les gens auraient pu s’en mêler et s’effrayer, fit-il d’un air narquois. Vous voulez dire que je peux me lever de ce foutu lit sans que le toubib vienne me botter les fesses ?

— Elle ne vous trouvera aucune excuse pour tirer au flanc.

— Elle a changé de musique, fit-il en secouant la tête, l’air toujours narquois. Un seul problème : dois-je y aller nu ou puis-je me fabriquer une toge avec ces draps ?

— Je vais chercher vos affaires.

Kate se dirigea rapidement vers une petite porte à l’autre bout de l’infirmerie, jetant, au passage, un coup d’œil aux silhouettes étendues sur les autres lits. Elle disparut derrière la porte et Culver perçut le bruit d’une armoire qu’on ouvre et qu’on referme. Elle revint avec quelques vêtements familiers.

— Propres, mais pas repassés, annonça-t-elle en les lui lançant sur les genoux. Oh, j’ai réparé de mon mieux le trou aux genoux de votre jean. Ce n’est pas très joli, mais, au moins, c’est raccommodé.

— Cela vous a donné du travail.

— Je n’ai pas eu grand-chose d’autre à faire.

— Cela ne vous dérange pas d’attendre dehors ? lui dit-il en triant ses vêtements.

Elle le surprit une fois de plus par son rire empreint d’un humour sincère.

— Culver, j’ai fait votre toilette, je vous ai essuyé et j’ai vu tout ce que vous aviez à offrir. Il est trop tard pour jouer les timides.

Ses pieds touchèrent le sol, mais les draps couvrirent sa nudité. Il rougit.

— C’est différent.

— D’accord, fit Kate, le sourire toujours aux lèvres. J’essaierai de ne pas risquer un œil ; mais je ne sortirai pas. Vous n’avez peut-être pas la force nécessaire.

Quand il se leva, Culver comprit ce qu’elle voulait dire. Il fut pris de vertige et s’agrippa au lit supérieur.

Elle se précipita vers lui.

— Doucement, Steve, un peu de patience.

Il attendit d’y voir plus clair, une main posée sur l’épaule de Kate dont les mèches de cheveux lui effleuraient les doigts. Il avait conscience de la fragrance naturelle de son corps, de sa fraîcheur, du bras passé autour de ses épaules, de la chaleur de sa main sur ses lèvres.

— Merci, marmonna-t-il. J’aurais dû vous écouter. Je reprends mes esprits. Si vous pouviez rester à mes côtés un instant...

Elle le fit avec joie.

 

— On peut facilement se perdre ici, dit Culver en se laissant guider par Kate le long des couloirs.

Il avait les jambes encore flageolantes, la tête vide, mais sa vitalité lui revenait à grands pas au point qu’il se demandait ce que le docteur Reynold avait bien pu lui administrer.

— C’est un énorme complexe, dit Kate. Je ne prétends pas comprendre tous ces appareils, mais apparemment, nous nous trouvons dans une « station de remplacement », d’après le technicien  – pardon, l’ingénieur qui m’en a fait faire le tour. Mais ne me posez pas trop de questions sur les circuits de distribution intermédiaire et les mono-sélecteurs entraînés par des moteurs, fit-elle en lançant un coup d’œil vers lui. Il y a un aspect surnaturel dans tout cet équipement électronique qui, pour l’instant, ne fonctionne pas. On a l’impression que c’est vivant, le courant passe toujours, mais on dirait un dinosaure qui sommeille, attendant qu’on le réveille.

— Peut-être est-ce une espèce en voie de disparition. Ce genre de technologie ne va pas jouer un grand rôle dans notre avenir immédiat.

— Je ne pense pas pouvoir passer l’hiver sans ma couverture électrique.

— Essayez une bouillotte. Ou la chaleur d’un corps.

Elle évita son regard et il se sentit soudain stupide. Quelle remarque idiote, se dit-il, furieux contre lui-même.

— Je suppose qu’ils n’ont pas encore réussi à établir un contact, s’empressa-t-il d’ajouter.

— Non, ils ont même utilisé une bande perforée continue sur un télex, mais sans aucune réponse.

— Tant mieux.

Le couloir s’élargit et ils tombèrent sur un homme de petite taille mais large d’épaules qui surgit derrière une rangée d’appareils qui montaient jusqu’au plafond. Contrairement à bon nombre de ses compatriotes à l’intérieur de l’abri, il était bien rasé, ses cheveux blonds parfaitement coiffés.

— Salut ! s’écria l’homme presque gaiement. Ça va mieux ?

— Ouais.

— Bon, à tout à l’heure.

Il passa devant eux et traversa nonchalamment le couloir, les mains enfoncées dans les poches et sifflant faux.

— Il semble assez gai, dit Culver, le regardant de dos.

— Il s’appelle Fairbank. C’est l’un des plus gais lurons ici. Rien ne semble le déranger. Soit il s’est adapté, soit il est fou.

— Et les autres ? D’après ce que j’ai vu la dernière fois, ils ne me paraissent pas très en forme.

— L’humeur change en permanence. C’est contagieux. Un jour, l’atmosphère est chargée d’un optimisme anormal, et le lendemain, une profonde dépression flotte dans l’air, telles des particules de fumée noire. Vous avez vu combien certains sont perturbés dans l’infirmerie. Un ou deux autres ont été traités ici sans que vous vous en doutiez  – vous aviez vos propres problèmes.

Ils se retrouvèrent dans un couloir et il remarqua une porte massive avec une lucarne vitrée à hauteur de visage. Dans le mur même, au-dessus de la porte, était placé un voyant rouge, mais la lumière était éteinte. Kate le vit regarder par la fenêtre.

— Vous rendez-vous compte qu’ils ont leur propre studio d’enregistrement ? dit-elle.

— Plus rien ne me surprend, fit-il en la rejoignant.

— Venez par ici, lui dit-elle, le prenant par le bras pour le faire tourner dans un couloir à droite. Devant, il y a la station de remplacement. Elle n’a pas grande utilité quand les communications téléphoniques sont hors service.

Ils passèrent devant une pièce où des rangées de batteries étaient placées dans de longues cuves avec des barres de cuivre rectangulaires au-dessus, qui, selon lui, amenaient le courant. Puis ils se trouvèrent dans un grand espace libre qui était, d’après Kate, la salle principale des machines. Des séries de contacteurs et d’appareillages compliqués étaient alignés, formant d’étroits couloirs ; çà et là des moniteurs qui n’étaient autre que des oscilloscopes étaient posés sur des chariots ; les voyants, qui s’allumaient en cas de panne, étaient désormais inutiles car aucun signal ne parvenait dans le complexe. Culver leva les yeux et aperçut des réseaux de câbles maintenus en l’air par des grilles qui couvraient tout le plafond ; on y avait accès par une échelle en métal.

— C’est encore loin ?

— On y est presque.

Ils parvinrent enfin à une porte métallique fermée.

— Le quartier général, dit-elle en poussant la porte.

Les gens rassemblés dans la salle étudiaient une carte, le dos tourné à Culver. Il remarqua d’autres cartes, la plupart du Royaume-Uni, accrochées au mur par des punaises de couleur. L’une d’elles était couverte d’un quadrillage dessiné à gros traits noirs.

Dealey désignait un endroit sur la carte, tapotant de son doigt dodu le papier plastifié comme s’il insistait sur un point. Quelque chose avait changé chez lui ; ce n’est que lorsqu’il se retourna que Culver s’en rendit compte.

— Plus de pansements, fit-il. Vous voyez ?

— Aussi bien qu’avant, fit-il en désignant une chaise. Je suis heureux de vous voir debout, mais n’en faites pas trop. Reposez-vous.

Clare Reynolds fit le tour du bureau où ils étaient tous rassemblés.

— Vous avez l’air tellement mieux, Steve. Vous nous avez inquiétés.

— Merci de vous être occupée de moi, lui dit-il, heureux de s’affaler sur une chaise.

— Kate a été une infirmière très dévouée.

Il ne répondit pas mais fixa Dealey qui avait laissé tomber son veston mais pas sa cravate. D’autres dans la salle

— Bryce, l’officier du ROC, et plusieurs autres dont Culver ne connaissait pas le nom  – étaient vêtus de façon moins formelle, en manches de chemise et le col ouvert. Seule l’apparence soignée de Farraday rivalisait avec celle de Dealey.

— Il semblerait que nous avons eu la chance de nous mettre à couvert à temps, fit Dealey en s’asseyant sur une chaise derrière le bureau. (Les autres cherchaient des sièges dans la pièce, tandis que Farraday s’était appuyé contre un mur, les bras croisés.) Un peu plus et le taux de radiations était trop élevé. Je tiens à vous remercier de m’avoir mené jusqu’ici.

— Comme je vous l’ai déjà dit, dit Culver sans relever, nous avions besoin l’un de l’autre. Je suis content que vous ayez recouvré la vue.

— C’est revenu au bout de quelques jours. Dieu merci, ce n’était pas définitif.

Culver le trouva encore assez las, les traits tirés, mais qui aurait pu s’en étonner ? De toute évidence Dealey avait pris les choses en main et Culver ne lui enviait pas cette responsabilité. En dévisageant les autres, il lut la même fatigue sur leurs visages. Le médecin devait avoir raison : lui, Culver, avait eu, si l’on peut dire, la chance de rester à l’écart de tout cela ces derniers jours.

— Nous ne savons pas grand-chose de vous, Culver, si ce n’est que vous vous êtes bien débrouillé, fit Dealey, les sourcils froncés, comme si le compliment n’était pas aisé. Peut-on vous demander ce que vous faisiez avant l’attaque ?

— Quel est le rapport avec notre situation ?

— Je ne sais pas encore. Nous sommes un petit groupe et les talents de chacun peuvent être utiles pour notre survie. Il y aura certainement d’autres groupes  – des communautés entières, en fait  –, et j’espère qu’au bout du compte nous pourrons rassembler toutes nos ressources. Pour l’instant, toutefois, nous ne pouvons compter que sur nous.

— Je ne pense pas que mon... mon métier puisse nous être utile dans ces circonstances, fit Culver en souriant, avant d’ajouter presque en s’excusant : Je pilote des hélicoptères.

— Ah, s’exclama Dealey avec un soupir, en se renversant sur son siège, l’air intéressé.

— J’avais ma propre affaire, rien de bien important. Simplement un associé pour la gestion. Un autre pilote et une petite équipe au sol. Rien d’extraordinaire.

— Que transportiez-vous ? lui demanda Farraday.

— Du fret principalement et des passagers de temps à autre. Nous opérions à partir de Redhill, c’était pratique pour Londres et le Sud. Mais, croyez-moi, nous ne menacions pas Bristow, la grande compagnie d’hélicoptères basée au même endroit, fit-il avec un sourire.

Farraday semblait intéressé.

— Quels types de machines aviez-vous ?

— Nous n’en avons que trois. Comme je vous l’ai dit, nous sommes une petite compagnie. Le plus grand est un bimoteur Westland Wessex 60, que nous utilisons  – excusez-moi, j’oublie toujours  – que nous utilisions pour transporter du fret et comme grue aérienne. Il pouvait prendre jusqu’à seize passagers, aussi était-ce pratique pour les hommes d’affaires, les voyageurs de commerce ou les groupes qui se déplaçaient à travers le pays. Nous avons même emmené en tournée des orchestres de rock et leurs fans, pas simplement à cause de la rapidité et de la commodité, mais pour les sensations que le voyage leur procurait. Il y avait un appareil plus petit, un Bell 206B, que nous utilisions pour des tâches mineures, comme la surveillance et le fret. Il pouvait prendre quatre passagers, aussi servait-il au transport du personnel de direction.

L’espace d’un instant, Culver eut une expression de regret.

— Mon plus petit était un Bell 47, qui ne pouvait contenir que deux personnes. J’ai appris à piloter à bien des gens dans cette vieille machine, peut-être pas selon les critères de l’Administration de l’aviation civile, mais suffisamment bien pour qu’ils ne soient un danger ni pour eux-mêmes ni pour les autres. Je l’avais équipé également pour traiter les cultures, ce qui m’a valu de travailler beaucoup avec des fermiers locaux.

Dealey l’observait d’un air bizarre. Culver avait l’impression qu’il le découvrait littéralement (à moins qu’il ne soit venu le voir dans l’infirmerie, ce dont Culver doutait). Tous les attributs physiques que Dealey avait associés à la voix de Culver étaient maintenant confirmés ou démentis.

— Juste par curiosité, demanda Farraday : qu’est-ce qui vous a amené à Londres mardi dernier ?

— J’essayais d’obtenir des fonds pour un nouvel hélicoptère, un vieux Bell 212 dont la compagnie Bristow voulait se débarrasser. Ils n’acceptaient pas de leasing, aussi devais-je me débrouiller pour trouver l’argent. Ma banque a fini par être convaincue que ce projet était bénéfique pour la compagnie.

— Vous alliez demander un prêt à la banque en blouson de cuir et en jean ? demanda Dealey d’un air incrédule.

— C’était Harry, mon associé, qui négociait habituellement, fit Culver, avec un sourire. De plus, toutes les démarches avaient déjà été faites ; je venais seulement conclure l’affaire. (Le sourire disparut.) J’étais en retard, ce que Harry ne supportait pas très bien. Il devait m’attendre à la banque. Sans doute s’excusait-il auprès du directeur.

— Peut-être était-il à l’abri, à l’intérieur, fit Dealey, se doutant de ce qui se passait dans la tête de Culver.

— La banque était située près des bureaux du Daily Mirror, dit Culver en secouant la tête. Quand nous sommes passés devant, j’ai vu qu’il n’en restait pas grand-chose, y compris des bâtiments autour.

Il régna dans la pièce un silence pesant que Culver rompit.

— Bon, alors qu’allons-nous faire ? Je suppose que la raison de notre réunion est de discuter de notre avenir.

Farraday s’écarta du mur et alla s’asseoir sur un coin du bureau de Dealey, les bras toujours croisés.

— C’est exact, monsieur Culver. Nous devons élaborer un plan d’action, non seulement pour les semaines que nous allons devoir passer dans cet abri, mais aussi pour la suite des événements. Il nous faut aussi décider de la date de notre sortie.

— Est-ce que tout le monde ne devrait pas être tenu au courant ? s’exclama Culver en promenant son regard dans la pièce. Nous sommes tous concernés.

Bryce, le responsable de la Protection civile, gêné, s’agita sur son siège.

— Je crains qu’un différend ne naisse entre nous, « les officiels », si vous voulez, et le personnel du central téléphonique. C’est parfaitement incongru, mais, à petite échelle, cela vous montre que les gouvernements, depuis la dernière guerre, ont prévu les insurrections civiles après une guerre nucléaire.

— Vous avez dû remarquer, l’interrompit Dealey, que les bâtiments des ministères, récemment construits, ressemblent à des forteresses.

— Pas vraiment.

— Le fait que vous, et le public en général, ne l’ayez pas remarqué, fit Dealey en souriant, est un succès en soi pour les différents gouvernements qui ont fait construire ces bâtisses. Elles ont été construites, évidemment, dans le but de servir de places fortes en cas de soulèvement ou de tentative de coup d’État, et pas simplement dans l’éventualité d’une révolution à la suite d’une guerre nucléaire. Plusieurs d’entre elles sont même entourées de fossés, comme l’Institut mondial dans la City, ou possèdent des sous-sols secrets dont l’accès est difficile. Le meilleur exemple en est la caserne des Gardes à Kensington avec les meurtrières des murs d’enceinte.

— Attendez, s’exclama Culver en levant la main, vous me laissez entendre qu’une révolution se prépare ici ?

— Pas encore, intervint Clare Reynolds. Mais le ressentiment grandit chez les ingénieurs et le personnel du central téléphonique. Ils ont subi tant de pertes, voyez-vous, et nous, qui représentons les autorités, sommes tenus pour responsables. Peu leur importe que nous ayons, nous aussi, tout perdu, et que nous ne soyons pas responsables de cette guerre ; à leurs yeux, nous représentons les instigateurs.

— Certainement pas vous, un médecin ?

— Ils soupçonnent tout ce qui symbolise l’autorité.

— Des réunions comme celle-ci, d’où ils sont exclus, ne doivent pas arranger les affaires.

— Nous n’avons pas le choix, répliqua sèchement Dealey. C’est impossible d’associer tout le monde aux décisions politiques.

— Ils ont peut-être l’impression que c’est la raison essentielle pour laquelle le monde en est là.

Dealey et Bryce échangèrent un regard.

— Peut-être nous sommes-nous trompés sur votre compte, fit Dealey. Nous pensions qu’en tant que profane, qu’élément neutre, si vous voulez, vous nous seriez utile pour venir à bout de cette discussion qui ne mène à rien. Si vous pensez ne pas pouvoir coopérer...

— Ne vous méprenez pas. Je ne suis pas contre vous. Je ne suis contre personne. Ce qui est arrivé est arrivé, et rien ne pourra y changer quoi que ce soit : Je suis simplement hostile à l’idée de poursuivre, comme par le passé, une politique qui nous a amenés là. Vous ne comprenez pas ?

— Si, monsieur Culver, répondit Farraday, nous comprenons votre façon de voir. Malheureusement, ce n’est pas aussi simple.

— Rien n’est jamais simple.

— Le jour de votre arrivée dans cet abri, protesta Dealey, vous avez été le témoin de leurs dissensions. Vous avez vu combien voulaient partir. Seul le bon sens du docteur Reynolds a réussi à les en dissuader. Nous ne pouvons fuir nos responsabilités envers qui que ce soit, et principalement envers nous-mêmes, en nous en remettant à la loi du peuple.

— Je ne parlais pas de loi du peuple, mais de la décision d’un groupe.

— Nous y consacrerons suffisamment de temps, une fois la crise passée.

— Nous sommes en pleine crise et elle ne va pas passer, répliqua Culver, sentant la colère monter en lui. (Il se rappelait Dealey, l’incitant à abandonner Kate aux rats dans le tunnel. A travers toute cette épreuve, l’instinct de conservation avait été son unique préoccupation.) Nous avons tous des intérêts dans cette affaire, Dealey, moi, vous, et ces malheureux, derrière la porte. Ce n’est pas à nous de décider de leur avenir.

— Vous interprétez mal notre action, fit Bryce dans un esprit de conciliation. Nous avons seulement l’intention d’élaborer un projet, pas de décider. Ensuite nos idées seront présentées à chacun et nous en discuterons ensemble. Ce n’est qu’après que les décisions seront prises.

— Bien, répondit Culver, s’efforçant de se détendre, je tire sans doute des conclusions hâtives. Il est possible que vous ayez raison, que l’ordre soit nécessaire. Mais laissez-moi vous dire une chose : l’époque de la course au pouvoir est révolue.

Sur ces mots, il fixa Dealey dont le visage était impassible.

— Nous pouvons donc conclure que vous nous aiderez, fit Dealey.

— Je ferai de mon mieux pour aider tous ceux qui se trouvent dans cet abri.

Inutile de s’opposer à cette déclaration plutôt ambiguë, se dit Dealey. Il avait espéré trouver un allié en Culver, car toute personne supplémentaire dans le petit noyau représentant l’autorité serait de grande utilité dans le déséquilibre des nombres. Si les événements s’étaient déroulés comme prévu, bien d’autres « étrangers » auraient atteint l’abri et ce problème ne se serait jamais posé. Il était déçu, ayant imaginé que les circonstances précédentes auraient pu créer un lien entre lui et Culver, mais il se rendait compte que le pilote n’avait aucune confiance en lui. Culver n’était pas un imbécile.

— Très bien, fit-il pour éviter toute dispute. Avant votre venue, nous localisions les abris de la ville et leurs tunnels de liaison. Les autres cartes au mur indiquent les treize lieux où se situent les sièges régionaux du gouvernement et les différents bunkers. La plupart d’entre eux n’ont pas dû souffrir de l’attaque nucléaire, si toutefois ils n’ont pas servi de cible directe. Les quadrillages indiquent les lignes de communications entre les sièges régionaux et départementaux. (Dealey désigna une carte du sud-ouest de l’Angleterre.) Là, vous voyez la position du QG des forces de l’armée de terre du Royaume-Uni, opérant à partir d’un vaste bunker à Wilton, près de Salisbury.

— C’est de là que le gouvernement opérera ? demanda Culver, intrigué.

— Euh, non. Il existe plusieurs emplacements pour le siège national, Bath et Cheltenham, pour n’en citer que deux. (Il sembla hésiter, et Culver vit Bryce faire un léger signe de tête. Dealey en comprit la signification et poursuivit.) Bien que les faits aient été soigneusement cachés au public, plusieurs hypothèses, bien étayées, ont été avancées en ce qui concerne le lieu secret du bunker gouvernemental, en cas d’ultime recours. La plupart des hypothèses avancées se sont révélées exactes, mais nul n’a compris l’ampleur, ou la complexité, d’un tel abri.

— Où se trouve-t-il ? demanda Culver à voix basse.

Le docteur Reynolds craqua une allumette et alluma une cigarette qui pendait mollement de ses lèvres depuis un moment. Farraday s’éloigna du bureau et s’appuya contre un mur, les bras ballants, les mains enfoncées dans les poches de son pantalon : Bryce semblait satisfait, comme s’il avait personnellement joué un rôle considérable dans la survie de ses créanciers.

— Sous le quai Victoria, murmura Dealey. Près du Parlement, et par le tunnel, facile d’accès depuis le Palais, Downing Street et tous les bâtiments officiels regroupés dans cette zone plutôt exiguë de la ville. L’abri, à lui seul, s’étend des bâtiments du Parlement à Charing Cross où un autre tunnel, parallèle à celui du métro de la ligne Charing Cross-Waterloo, traverse la Tamise.

— Il y a deux tunnels ?

— Oui. Le second, qui est secret, est un bunker qui permet de traverser la Tamise rapidement et en toute sécurité, au cas où les ponts alentour seraient détruits ou bloqués.

— Comment a-t-on pu garder secret un tel endroit ? Comment a pu se faire la construction à l’insu de tous ?

— Vous êtes-vous jamais demandé pourquoi la plupart des circuits de câbles et des nouvelles lignes de chemin de fer souterrain dépassent inévitablement les prévisions budgétaires et, pourquoi, invariablement, la construction est plus longue que prévu ? Les lignes Victoria et Jubilee sont les meilleurs exemples de percements de tunnels qui ont dépassé de loin l’allocation budgétaire et les prévisions d’achèvement.

— Vous voulez dire qu’ils étaient une couverture pour les travaux effectués dans des sites secrets ?

— Disons simplement qu’on avait prévu plus d’espace que nécessaire pour les lignes de métro. Et tous les ouvriers employés à cette tâche  – tout au moins ceux qui œuvraient sur les points sensibles  – étaient assermentés, selon la loi du secret d’État, avant d’être embauchés.

— Même avec ces précautions, il a dû y avoir des fuites.

— Oui, mais la censure a empêché toute exploitation médiatique.

Culver laissa échapper un bref soupir.

— Ainsi l’élite a pu s’en sortir.

— Pas l’élite, Culver, répliqua Dealey d’un ton sec, le personnel clé et certains ministres, susceptibles de relever le pays après une telle catastrophe. Et les membres de la famille royale, naturellement.

— Ont-ils eu le temps de gagner l’abri ?

— Tout est prévu pour les ministres et la famille royale en cas d’agression étrangère, quel que soit le lieu où ils se trouvent. Du quartier général même par une voie de secours qui s’étend sur des kilomètres sous terre. Elle arrive sous l’aéroport de Heathrow. De là, on peut s’échapper n’importe où dans le monde.

— A moins que l’aéroport n’ait été détruit, dit Clare Reynolds, laissant échapper de ses lèvres serrées la fumée de sa cigarette.

— Auquel cas, on peut envisager une échappée n’importe où dans le pays, répliqua Dealey, tapotant inconsciemment de ses doigts le bureau. Pour l’instant, nous ne sommes pas parvenus à entrer en communication avec le QG de Victoria Embankment, et c’est vital de le faire le plus vite possible. Nous avons l’intention d’envoyer en reconnaissance un petit groupe pour explorer les conditions là-haut, dès que le niveau des retombées le permettra. Il nous faut également évaluer l’état des tunnels, ce qui permettrait d’établir la route la plus sûre pour parvenir à l’abri gouvernemental. Nous espérons que vous accepterez de faire partie de ce groupe de reconnaissance, fit-il en regardant Culver droit dans les yeux.

 

— Avez-vous faim, Steve ?

— Puisque vous en parlez, oui, fit-il en regardant Clare Reynolds, qui avait posé la question avec un sourire narquois. En fait, je suis affamé.

— Très bien, c’est bon signe. Dans un jour ou deux, vous serez frais comme au premier jour, fit-elle en désignant de la tête le chemin de la cantine. Inutile d’en faire trop.

Elle passa devant, suivie de près par Kate et Culver.

— J’aimerais une boisson forte pour me remettre de cette longue réunion, fit-elle en jetant un coup d’œil par-dessus son épaule. C’est dommage que ce soit aussi frugalement rationné.

— Moi aussi, j’en aurais besoin, acquiesça Culver, mais je suppose qu’il n’y a pas de grandes réserves par ici, non ?

— Faux, dit Kate. Il y en a plein, mais Dealey croit qu’il est plus sage de les laisser sous clé. Un excès d’eau-de-vie n’est pas bon pour les indigènes.

— Il a peut-être ses raisons, répliqua le médecin. Les indigènes sont assez agités.

— C’est vraiment aussi dangereux que cela ?

— Pas vraiment, Steve, mais ce n’est pas très clair. Il est possible que Dealey souffre d’un léger complexe de persécution parce que, en tant que responsable du gouvernement, tous les ressentiments sont dirigés contre lui. Mais malgré l’étendue du complexe, il règne un certain climat de claustrophobie, mêlé à un sentiment de mélancolie, même d’hystérie refoulée ; ce qui pourrait mener à une situation explosive. Un excès d’alcool serait nocif.

Culver ne pouvait qu’approuver tacitement. L’atmosphère dans l’abri était pesante et il comprenait la nervosité de Dealey. Un sentiment de lassitude s’abattit de nouveau sur lui, la réunion à laquelle il venait d’assister lui ayant ôté tout son entrain. Culver avait été surpris de la minutie des plans d’urgence destinés à parer à toute éventualité. Ils avaient été régulièrement examinés, modifiés, changés puis mis en pratique pendant des décennies, de la guerre froide à la détente ; c’était un conflit latent qui couvait insidieusement.

Dealey avait, une fois de plus, défini l’organigramme du commandement, mais avec plus de détails qu’à la première séance d’informations à laquelle Culver avait assisté.

Le pays avait dû être divisé en douze régions, chacune pouvant opérer de façon autonome. Sous le siège national, se trouvaient douze sièges préfectoraux et, plus bas, vingt-trois QG départementaux, qui donnaient aux responsables des comtés des ordres qui se répercutaient au niveau des districts et des sous-districts. Au bas de la liste, les derniers, dans l’ordre hiérarchique, étaient les centres sociaux et les lieux de repos.

Chaque région avait son propre quartier général des forces armées ; les commandants militaires régionaux et le personnel logeaient dans des bunkers souterrains : ces forces, travaillant en collaboration avec la police et les unités mobilisées de la Protection civile, veillaient à ce que les nouvelles lois d’exception soient appliquées. Les entrepôts pharmaceutiques et autres, même les supermarchés devaient maintenant être sous le contrôle des autorités locales. Certains bâtiments, les autoroutes et les routes clés devaient être réquisitionnés par les militaires. L’évacuation de tous n’avait pas été prévue. En fait, elle serait fortement déconseillée, car elle provoquerait trop de troubles dans un monde déjà perturbé, trop de désordre au sein de plans minutieusement élaborés.

Culver frémit à l’idée du Nouvel Ordre qui avait dû déjà s’établir. A moins, bien sûr, que les dégâts n’aient été bien plus importants que prévu, le monde agonisait, incapable de répondre à toute tentative d’organisation.

Il fut interrompu dans ses pensées. Le médecin s’était arrêté car un ingénieur, agité, s’était approché d’elle et lui avait glissé quelques paroles à l’oreille. Il fit demi-tour sans attendre de réponse et repartit rapidement d’où il venait.

— Qu’est-ce qui ne va pas ? demanda Culver.

— Je ne sais pas exactement, répondit le docteur Reynolds, mais il se passe quelque chose d’intéressant... Ellison veut me faire entendre un bruit.

Elle suivit la silhouette qui s’éloignait et arriva dans la salle des ventilateurs.

Un groupe d’hommes, certains vêtus de combinaisons blanches, d’autres habillés normalement, étaient rassemblés autour d’une large conduite d’air dont la partie verticale, supposait Culver, s’élevait jusqu’à la surface. Sans doute des filtres empêchaient-ils l’entrée de toute poussière radioactive. Fairbank se trouvait parmi eux.

— Alors, qu’allez-vous nous apprendre ? demanda le docteur Reynolds, sans s’adresser à qui que ce soit en particulier.

Ce fut Fairbank qui répondit. Ses yeux avaient un éclat particulier mais aussi une lueur d’incertitude.

— Écoutez, dit-il en se tournant vers la conduite d’air.

Par-dessus le bourdonnement du générateur, ils percevaient un bruit persistant. Un crépitement régulier, un martèlement.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda Kate, se tournant vers Culver.

Il le savait, le médecin également, mais Fairbank répondit.

— La pluie, dit-il. Il pleut là-haut, il tombe des hallebardes.

L'empire des rats
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